En exclusivité mondiale : BIM !
Benin International Musical, LE projet de 2018, raconté par l’un de ses protagonistes, mon ami Hersen Rivé, invité dans le blog en exclusivité
Au début des années deux-mille, Elodie Maillot journaliste à France Culture, se retrouve face au groupe de rock Écossais en vogue « Franz Ferdinand » dans le cadre de la couverture d’un festival. Avouant que le rock anglais n’était pas sa première passion, elle mène l’interview avec une approche différente de ses confrères amenant les jeunes rockers à s’exprimer sur les racines africaines du rock’n’roll. La coïncidence est incroyable, le groupe évoque une passion pour le « Tout Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou ». La journaliste est précisément très investie au Bénin aux côtés du Poly-Rythmo. Elle produit leur nouvel album et relève le défi d’une tournée mondiale pour ce groupe culte de l’Afrique de l’Ouest des années soixante.
Le « Poly » est la formation pionnière parmi les orchestres de funk électrique de cette région définie par un axe Lagos, Cotonou, Lomé. Fela Anikulapo Kuti se rendait lui-même à Cotonou pour voir des concerts bien avant de créer l’ « Afro-beat ». A cette époque, les groupes locaux se sentaient à la fois guidés par l’euphorie Beatles et assez éloignés de toute cette révolution culturelle Anglo-saxonne. Près de cinquante ans plus tard, une nouvelle génération pop identifie ses racines dans les rythmes incroyables du Dahomey avant de citer les Beatles. D’autres groupes actuels ne manquent pas l‘occasion d’évoquer cette même source historique : « Vampire Week-end » et ses démangeaisons de rumba congolaises, « Arcade Fire » et ses évocations de la scène actuelle vaudou, Damon Albarn et ses productions sur le label « Honest Jons » ou ses live de plus de six heures avec « Africa express ». Ce marqueur artistique était déjà connu dans le hip-hop et la production électronique dont le message le plus limpide est donné en 2001 par les « Chemical Brothers » avec « It began in afrika » emprunté à l’américain Jim Ingram.
Cotonou est une capitale historique de la musique, moins référentielle que Bamako et Kinshasa. Les béninois évoquent souvent une forme de discrétion dans leur nature propre pour justifier cela. Si ce constat surprend encore, une autre question ne fait aucun mystère, celle des origines du dynamisme et du niveau remarquable des musiciens béninois. Les temples et les couvents vaudous, les églises célestes, les orphelinats, les écoles et les fanfares sont de véritables structures d’apprentissage et de répétitions quotidiennes.
Une histoire aussi riche et pleine de rebondissements dans l’espace et dans le temps, doit être partagée. Il est temps de rendre au Bénin tout ce qu’il offre depuis des siècles.
En 2013, lors d’un séjour à Cotonou initié par Prosper du label local « Guru records » et manager de Don Metok, j’ai eu l’idée de créer un groupe qui réunirait, raconterait et entretiendrait ces légendes patrimoniales avec le défi d’offrir au pays le rayonnement international qu’il mérite. Le rappeur poète Sergent Markus est mon premier complice et restera toujours impliqué.
Une nouvelle page s’écrit dans la région de Ouidah tristement célèbre pour avoir été la plus grande porte de non-retour des esclaves qui n’emportaient que leurs rythmes traditionnels. Quel meilleur média que la radio pour raconter cette histoire musicale et émouvante ? La musique reste éternellement le moyen idéal de faire découvrir et partager des cultures différentes. La formation d’une équipe et les séances de travail seront les prétextes pour des reportages audiovisuels.
La même année, je rencontre le producteur nantais Jérôme Ettinger lors d’une tournée promotionnelle de son groupe « Egyptian Project » en France. Dans un premier temps, son expérience de coopération artistique internationale menée avec succès fait de lui un interlocuteur intéressant pour échanger et évaluer les limites d’un tel projet. Quand il n’est pas en Égypte Jérôme vit à Nantes, la ville qui partage avec Cotonou une envie de coopération bilatérale pour assumer sa part historique dans la traite négrière. Au fil des échanges, Jérôme Ettinger démontre sa grande maîtrise en matière de production et révèle des qualités humaines exceptionnelles, base fondamentale pour ce type de création.
Cette exigence sera évaluée et considérée prioritairement à chaque étape de l’aventure et dans tous les domaines de compétences. Le vaudou, indissociable de la tradition musicale au Bénin, exige une attitude positive, tournée vers la terre et les hommes. Il est aujourd’hui reconnu par la communauté internationale pour ses vertus de tolérance et son rôle essentiel dans le maintien de la stabilité d’un pays jusqu’à présent protégé du fondamentalisme et du fanatisme. Chasser les clichés illégitimes de magie noire est une motivation supplémentaire.
Très rapidement, l’organisation Euroradio de l’Union Européenne de Radio-Télévision s’est positionnée comme véritable partenaire mettant son réseau et sa force de coordination à notre disposition. Des radios nationales publiques s’engagent et se passionnent pour ce qui porte alors le titre de travail : « Cotonou Project ».
La position de producteur/diffuseur rassure et motive les premiers soutiens que sont la ville de Nantes et l’institut français de Cotonou. Des séjours de repérages sont rendus possibles et l’histoire se construit enfin sur le terrain.
A Cotonou, Aristide Agondanou de l’agence « Awo Négoce » et fondateur du « Gangbé Brass Band » avec son assistant Denis Akodebakou deviennent rapidement nos guides, nos frères, nos précieux repères, nos puits de savoir et d’idées. C’est un véritable collectif qui se crée. Il ne s’agit plus d’un projet mais d’une famille. Denis me baptise « pépé », tout le Bénin l’imite.
Richard Vodounou s’engage comme mécène et s’occupe de nous comme un père.
Quatre années sont passées, un délai indispensable à la réussite d’un tel défi. A chaque séjour, ses objectifs, ses ambitions ! Des auditions dans un studio mobile aménagé à l’Institut français, des cérémonies vaudou dans les villages, et les nuits de discussions dans le jardin de Richard ont été les étapes de la constitution du groupe et de la recherche d’un son. Une méthode précieuse pour créer ensemble une rencontre cohérente et bannir le tourisme musical.
L’organisation rigoureuse nous autorise des moments d’improvisation dignes de ce nom. En avril 2016, nous décidons sur un coup de tête de débarquer dans notre repère, le restaurant « Yao » près de la place Lénine dans le quartier Akpakpa où nous partageons une maison. Ce maquis est connu pour avoir été le club résidence du Poly-Rythmo tous les week-ends il y a plus de trente ans.
En quelques heures le lieu est investi pour une « jam session » inédite. La jeune génération, menée par Sergent Markus et les rappeurs D-flex, s’associe au patriarche Didoh Lenvie alias « Pêcheur », accompagné par les vétérans Vincent Ahehehinnou et Pierre Loko, fondateurs du « Poly » en 1968. La fameuse transe se révèle. La puissance de la musique sur l’homme et l’envie de lui rendre une folie originelle prennent le dessus. Sami Fatih, violoniste d’ « Egyptian Project » est présent ce soir-là et balaye de son instrument amplifié tout le nord du continent. C’est ainsi que naît le B.I M, Benin International Musical. Le nom est adopté autour d’une table du Yao. Le son est fort, l’éclairage est faible. Dans cette obscurité, chaque coup de fourchette est un mystère : poulet braisé, pâte noire, bananes plantain frites… le piment arrive chaque fois trop tard pour y renoncer. La « béninoise » bien fraîche débarrasse les frigos de l’établissement. Combien de temps la session aura-t-elle duré ?… C’était le tout premier « live ». Il n’y en aura jamais deux comme celui-ci.
Sergent Markus m’entraîne au milieu de la nuit dans les studios de Radio Topka.. La station est installée au cœur du marché Dantopka, un des plus grands d’Afrique, qui s’étend chaque année un peu plus et dépasse aujourd’hui les dix kilomètres. Nous jouons des sons du monde entier, de Talking Heads aux Vikings de la Guadeloupe, et annonçons à l’antenne la création officielle du BIM.
La suite s’écrit encore mais ne se lit plus, elle s’écoute.
Rendez-vous en 2018.
(Toutes les photos sont de l’auteur)