Hommage à Péter Esterhazy, écrivain hongrois, parti trop tôt
Ah s’il avait été américain ou français !… Son oeuvre serait davantage connue, sa personnalité davantage admirée, les hommages auraient plu partout dans le monde !
Mais il était hongrois, et même s’il était l’aîné de la branche comtale des Esterházy, peu de monde s’intéressait à lui. Alors je vous le montre, tel que je l’ai connu il y a quelques années, car j’ai eu la chance, l’honneur et le privilège d’être son interprète pendant plusieurs jours, lors de la sortie de Harmonia Caeslestis, son roman majeur en français :
Je ne vais pas ici analyser son oeuvre, vous trouverez sa bibliographie en français ailleurs, je voudrais juste lui rendre hommage avec des anecdotes dont je me souviens, pour vous dire à quel point cet érudit fascinant était aussi un homme délicieux et aussi facétieux.
Invité avec d’autres écrivains d’Europe de l’Est au Salon du Livre de Paris en 1989, il explique très sérieusement que les écrivains de ces pays ont dû développer une écriture spécifique pour détourner la censure, tester aussi ses limites, flirter avec elle, et que désormais, puisque tout est possible, il va leur falloir réfléchir à d’autres histoires, trouver un autre style. Mentionnant Vaclav Havel, il ajoute, facétieux, qu’à ce propos il n’a rien lu de nouveau de sa part depuis quelques temps, il s’en étonne… A ce moment-là, Havel n’est rien moins que le premier Président de la toute nouvelle République tchèque, suite à la Révolution de Velours dont il fut l’un des acteurs majeurs !
Interprète à une lecture de son roman, j’hésite sur un mot, sa traductrice, depuis la salle, m’en impose un que je ne trouve pas bon. Elle insiste, je refuse. Alors Esterházy me prend par les épaules, me dit « Attends, pas d’inquiétude, on recommence tout : Bonjour, je m’appelle Péter Esterházy… » Cette plaisanterie a fait passer la minute désagréable et nous avons repris. Plus tard, enregistrant pour Colette Fellous sur France Culture, nous nous demandons comment nous allons nous installer dans le petit salon où elle a apporté le Nagra. Il tapote la place à côté de lui sur le canapé et me dit « Toi tu viens ici bien sûr, près de moi ». Je pense qu’il était très conscient du rôle important que nous jouions, ses traductrices et moi, et ils ne nous considéraient pas du tout comme des accessoires. Cela me touchait et me faisait plaisir. Il était toujours disponible pour nous, je l’ai vu ensuite avec ses autres interprètes.
Fan de football, il a écrit d’ailleurs sur la fameuse équipe des années 50, il avait volontiers participé à un match entre écrivains hongrois et écrivains russes à Die, lors du Salon du livre d’Europe centrale (non, vous ne verrez pas les photos… Bon peut-être si je les retrouve, c’était il y a plus de vingt ans). Les Hongrois s’étaient bien évidemment réjouis d’avoir mis la claque aux Russes qui, bons perdants, ont ensuite trinqué à la Clairette…
Grâce à son érudition très vaste, Péter Esterházy pouvait parler de tout, alors être à ses côtés sur l’estrade était un exercice extrêmement difficile. Heureusement qu’il répondait parfois à une question par une pirouette amusante ! La fois où Eric Naulleau lui a parlé de son style postmoderne, il a répondu : « On est postmoderne comme on est juif. Je suis postmoderne parce que ma mère l’était. » Nul antisémitisme ici, plutôt une façon de dire que certains auteurs se piquent d’être postmodernes, lui écrit et c’est tout. Il est vrai que son oeuvre se compose de collages et que, ne citant personne, il nous laisse le soin de reconnaître des morceaux de phrases empruntées à d’autres, un peu comme un musicien qui mettrait des samples d’autres musiques dans un morceau. Ce style inimitable, parfois ardu, je vous laisse le découvrir.
Aujourd’hui je suis triste de savoir qu’un tel écrivain à la personnalité si chaleureuse nous a quittés, et heureuse de voir sur les rayonnages de ma bibliothèque ses romans que je n’ai pas encore lus (je rappelle qu’il n’y a pas de librairie hongroise à Paris).
Un autre grand écrivain, Péter Nádas, me disait qu’il recevait parfois son courrier et inversement, et chacun répondait quand même à l’expéditeur. Et dans les librairies du monde entier, chacun veillait à ce que les livres de l’autre soient bien en vue sur les étals. Nádas va-t-il repenser à cela lors d’une prochaine tournée en Europe ?
Partager la publication "Hommage à Péter Esterhazy, écrivain hongrois, parti trop tôt"
4 commentaires
Effectivement, un grand auteur assez méconnu. Je te conseille de commencer par Revu et Corrigé. Un roman moins dense et virtuose qu’Harmonia Cælestis, à peu près aussi difficile à suivre qu’Histoire parallèle de Nadas. Dans Revu et Corrigé, Estherhazy revient sur ce moment de chamboulement où il apprend que son père fut un espion de la Stasi…
En Hongrie, d’où je suis originaire, il n’est pas méconnu. J’ai été son interprète quand il est venu en France après la publication de Harmonia Caelestis, traduit par une de mes amies. Mais ce n’était pas le premier livre de lui que je lisais. Revu et corrigé lui fait suite, car il est allé aux archives de la police politique quand il l’a écrit, et c’est là qu’on lui a remis des dossiers énormes, les rapports que son père écrivait sur ses amis. Il avait une admiration sans borne pour son père, alors ça a été un choc énorme. C’était pour la sûreté de l’Etat (la Stasi s’appelait ainsi en Allemagne de l’Est). J’ai aussi eu l’honneur d’être l’interprète de l’autre Péter que tu cites, nous parlerons d’Histoires parallèles une autre fois ! Je te conseille Le livre des Mémoires, du même auteur. Marc Martin, son traducteur attitré, est excellent, je fais d’ailleurs partie du jury d’un prix de traduction d’une oeuvre littéraire hongroise et nous lui avons attribué le prix cette année-là. Nadas est aussi un homme délicieux, très délicat, avec qui c’est un plaisir de travailler…
En attendant, merci pour ce commentaire !
Merci à toi. Toujours un plaisir d’entendre parler d’auteurs hongrois qui n’ont pas en France l’audience qu’ils mériteraient. Il y a quelques années Arte diffusait un documentaire très drôle sur ces deux auteurs. Je ne sais pas si tu l’as vu mais il montrait bien l’humour et la sympathie de ces deux auteurs. http://boutique.arte.tv/f9379-europe_ecrivains_hongrie
J’ai effectivement lu Le livre des mémoires. Un peu moins compliqué qu’Histoire Parallèle. Voilà longtemps que je me suis promis de relire cette trilogie formé avec un troisième roman dont le titre m’échappe. En tout cas, à mon avis, un chef d’œuvre qui laisse perplexe.
Merci pour le lien ! Les deux Péter étaient très amis. Nadas me racontait que, quand l’un des deux se trouvait à l’étranger, il allait dans des librairies et il se débrouillait pour bien mettre le livre de l’autre sur la table où il était exposé. Les lecteurs les confondaient parfois, et un Péter recevait une lettre destinée à l’autre. Cela les amusait…
Mais tu as raison, la littérature hongroise est méconnue en France. J’essaie parfois d’écrire un article sur une traduction qui me semble intéressante (par modestie, je n’ai rien écrit d’ailleurs sur les miennes). A suivre !