Etrange concert à Radio France…
Un concert dans le noir total ! Mais encore ?
Voici l’invitation que nous avons reçue :
Et oui, cette semaine, nous sommes sensibilisés au handicap au travail. Hier, on pouvait jouer au ping pong en fauteuil roulant dans l’Agora, ce soir c’était un concert « en aveugle ».
De vaguement ludique et curieuse, l’expérience est vite devenue bouleversante.
Nous sommes arrivés dans le studio 105, où un rideau noir masquait la scène :
Les musiciens allaient jouer derrière sans être vus. Mais pour corser le tout, on nous a distribué des masques pour que nous ne puissions vraiment plus rien distinguer :
Les lumières se sont éteintes – ben oui, quand même – et la musique a commencé par une pièce contemporaine pour voix.
Bien sûr, la première impression, c’est de bien entendre le son s’éparpiller dans tous les sens, de percevoir la moindre nuance de la voix de la soprano qui fait des bruitages et dit du texte en anglais.
Alors là, blasée, tu te dis que c’est normal, tu fermes les yeux sous un masque en tissu noir dans l’obscurité et tu entends forcément le concert avec davantage d’acuité que si tu regardais les gestes des musiciens ou les expressions de la chanteuse…
Mais le concert se poursuit ; c’est long, trois quarts d’heure ; il s’en passe, des choses, sur scène et dans ton imagination, en trois quarts d’heure…
La situation change : les instruments t’arrivent dans les oreilles sans prévenir : tu ne vois pas le pianiste lever les mains et les poser sur le clavier, et tout à coup les sons du piano s’égrènent dans tes oreilles attentives (car oui, tu découvres que « tendre l’oreille » n’est pas une vaine expression). Soudain, c’est un morceau de musique de chambre et, comme toujours, violoncelle et violon te frôlent de leur son nostalgique, mais… y a-t-il aussi un alto ? On dirait, oui… Que c’est beau ! Comme ces instruments me caressent l’âme directement, sans que je sois influencée par le doux visage de l’altiste ou la virtuosité du violoncelliste avec son archet ! Sans filtre visuel, musique et voix me vont droit au coeur et je me laisse emporter par une douce rêverie qu’une pièce plus contemporaine vient secouer…
Je n’ose pas bouger, de peur de donner un coup de pied involontaire à un voisin, immobile, concentrée, pénétrée de musique, j’écoute. J’écoute avec tous mes sens… Je sens le parfum de quelqu’un quelques sièges plus loin, ma langue se dessèche avec l’émotion, mes doigts se resserrent les uns sur les autres, un courant d’air de la clim’ me chatouille les cuisses…
Et dans cette obscurité qui m’enveloppe, je SENS la présence des autres spectateurs, un siège qui grince quand quelqu’un bouge, une petite toux discrète derrière moi, un rire étouffé lorsque la soprano passe de l’aigu au grave sans prévenir… Nous sommes tous ensemble dans cette écoute, émus, touchés par ce programme dont nous ne savons rien car on ne nous le donne qu’à la fin, attentifs, concentrés, admiratifs (pour preuve les bravos et le rappel des musiciens de l’ONF qui se sont prêtés au jeu)…
Quelle expérience ! Si simple et pourtant si bouleversante ! Je comprends que nos 5 sens nous permettent de percevoir le monde qui nous entoure mais, lorsqu’on nous en retire un, on ne nous retire pas cette perception concrète du réel, ni la capacité à rêver…
Ce soir, j’ai envie de demander pardon à tous les non-voyants de la Terre pour avoir osé imaginer qu’ils avaient une vie moins riche que la mienne car il leur manque un sens… et de les inviter à un concert !