Jamaica Jamaica ! l’expo bonheur !
Avec ce temps gris parisien typique… Donc vite, à l’intérieur !
Ça commence par un peu d’histoire :
1494 : Découverte de l’île par Christophe Colomb. Il la trouve très belle, donc les Conquistadores exterminent les Indiens Taïnos et y amènent des esclaves dès 1513. Et hop !
1655 : La Grande-Bretagne fait main basse sur l’île, qui lui appartient officiellement en 1670 suite au traité de Madrid.
C’est après la Seconde guerre mondiale, quand les empires se délitent et que les colonisés du monde entier se rebellent, que les choses se gâtent pour les Anglais en Jamaïque aussi. En 1944, la Jamaïque se dote d’une constitution, les Anglais commencent à lâcher du lest, même si l’indépendance officielle intervient seulement en 1962. Mais entre temps, un Jamaïcain noir très important a élevé la voix, au début du XXe siècle : Marcus Garvey. Précurseur du panafricanisme, il milite pour la reconnaissance de l’homme noir à l’égal de l’homme blanc et, en 1916, part aux Etats-Unis pour participer à la lutte pour l’émancipation des Afros-Américains. Lorsqu’en 1917 la Révolution éclate en Russie, il admire Trotsky et Lénine sans adhérer à la lutte des classes en tant que telle, les revendications de race sont plus importantes pour lui. Il reprend à son compte la prophétie d’un révérend selon laquelle un homme noir sera couronné roi en Afrique et mènera le peuple noir à la liberté. Pour lui, l’Ethiopie est le « Pays des Noirs » biblique où vivait le Dieu d’Isaac et de Jacob, ce Dieu en qui croient les Noirs. Aussi, lorsque Ras Tafari Makonnen est couronné empereur en Ethiopie sous le nom de Hailé Sélassié 1er, en 1930, la prophétie sera accomplie et Marcus Garvey sera surnommé Moïse. Plus tard, dans les années soixante, les jeunes Rastafaris verront en Hailé Sélassié la réincarnation moderne de Dieu, Jah, et lui feront un triomphe lors de sa visite en Jamaïque en 1966. Cela passe par la musique, car à partir des années 50, musique et expression politique seront liées.
Mais commençons par le début… En avant la musique !
A l’époque où dans les autres îles on jouait du calypso, en Jamaïque c’est le mento, un genre de calypso.
Je salue ici le commissaire de l’exposition qui a eu l’idée de parsemer le parcours de visite de vidéos et de nous prêter un casque : il suffit de brancher le jack et on entend le son, pouvant ainsi entendre toutes sortes de musiques sans gêner les autres. Le mento donc, pour commencer, et une sympathique vidéo en noir et blanc d’un orchestre dont le guitariste-chanteur, coiffé d’un magnifique chapeau de paille à larges bords, dodeline en chantant un air guilleret. On hésite entre La case de l’Oncle Tom et une pub pour du rhum (tiens, d’ailleurs, il est où mon mojito ?).
Les choses changent avec le ska, revendication politique des Noirs sur des rythmes davantage inspirés du rythm and blues américains que les Jamaïcains peuvent capter sur leurs transistors dans les années 50. Les plus célèbres influencent aussi les Skinheads anglais.
Cuivres, contrebasse, guitare et batterie pour des rythmes rapides. Le ska revient d’ailleurs dans les années 80, où blanc et noir s’unissent en damiers pour représenter l’égalité des deux couleurs de peau (oui, j’avais mon petit badge à damiers) et les musiciens s’habillaient en noir et blanc, comme sur ce dessin tiré de Rock & Folk qui me fait toujours rire trente ans après :
Comme quoi la revendication d’une époque peut être celle d’une autre… Mais revenons à la Jamaïque des années 50 : trop rapide, le ska déplaît alors, comme nous l’explique un musicien dans un documentaire de 10′, on ralentit et on appelle ça le rocksteady. C’est une musique populaire, faite pour être écoutée par tous, partagée dans la rue. Alors naissent les Sound System, ces grands bafles par où sort la musique à fond, dans la rue ou dans les dance halls. La bataille est rude et chacun veut être le meilleur, haranguant les spectateurs par des commentaires, ce sont les Toasters qui rivalisent de gouaille.
Voici un exemple de Sound system :
C’est dans cette ambiance populaire qu’émerge le reggae, porté par les Rastafaris qui revendiquent l’Afrique comme racines en tant que descendants d’esclaves. Issu de Trenchtown, un quartier populaire de Kingston, capitale de la Jamaïque, Bob Marley enregistre un premier titre en 1962, l’année de l’indépendance. Le ska est toujours présent, et en 1964, est fondé le groupe les Skatalites qui marque durablement l’histoire de la musique jamaïcaine. La même année, les Wailers – Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Livingstone, enregistrent un titre pour appeler au calme les jeunes révoltés. La Jamaïque vit un bouillonnement musical qui se poursuit dans la décennie suivante : Sound systems, Deejays, ska, rocksteady, reggae, et enfin dub avec Lee « Scratch » Perry en 1973, et tout cela est montré dans cette merveilleuse exposition, vidéos et photos à l’appui !
On voit que ces revendications politiques et identitaires ont mené à une culture de rue, populaire et créative, exprimée dans une langue propre, le patwa, et qui se retrouve jusque dans le street wear que l’on n’appelait pas encore comme ça, bien avant que les jeunes Jamaïcains ne soient influencé par le style des rappeurs américains :
C’est le producteur anglo-jamaïcain Chris Blackwell qui donne un coup de pouce au reggae avec son label Island. Le reggae devient mondialement connu. Sur place, Bob Marley est obligé de s’exiler pour des raisons politiques, Peter Tosh est assassiné dans des circonstances mystérieuses. Les années 90, après le décès des grands chanteurs emblématiques du reggae, sont plus calmes et il faudra attendre les années 2000 pour voir arriver sur le devant de la scène une nouvelle génération de musiciens, ce dont cette exposition ne parle pas, et c’est bien dommage… On aurait aimé finir avec Protoje, Alborosie, Damian Marley, entre autres, voire avec Sean Paul qui représente le style dancehall contemporain…
Je ne saurais terminer cet article sans un hommage à Bob Marley dont l’influence continue de nos jours :